Le dix-huitième jour : la crainte ou khaouf خوف
Je me refugie auprès d'Allah le protecteur et le sauveur contre le mal et notre égarement. Au Nom d'Allah le Tout Miséricordieux le Très Miséricordieux, et que le salut et la paix d'Allah soient sur le dernier des messagers, mon bien aimé Muhammad. Louange à Allah, nous recourons à Lui et nous Lui demandons de nous guider, nous pardonner, et nous préserver de nos mauvaises actions : « Celui qu'Allah guide, c'est lui le bien guidé. Et quiconque Il égare, tu ne trouveras alors pour lui aucun allié pour le mettre sur la bonne voie ». Le tout Miséricordieux et très Clément décrit les pieux dans le chapitre 16 verset 50 en ces termes :
Ils craignent leur Seigneur, au-dessus d'eux, et font ce qui leur est commandé.
يَخَافُونَ رَبَّهُمْ مِنْ فَوْقِهِمْ وَيَفْعَلُونَ مَا يُؤْمَرُونَ
La crainte du Créateur a toujours été considérée comme une adoration sacrée, et comme la racine même de toute vie religieuse et morale. La crainte, au sens islamique du terme, se situe aux antipodes de la peur car elle se base en priorité sur la confiance en Allah le Miséricordieux. Elle est le cordage « habl » d'amour grâce auquel Allah nous relie à lui. Cette crainte est le commencement de la connaissance et de la sagesse.
La crainte est en fait de trois niveaux, traduit toujours par le même terme en français. Le premier état est ce que on va appeler la peur - khaouf خوف -, c'est la crainte de l'enfant vis-à-vis de ses parents. Elle se base sur la présence de l'autorité et la peur de la punition juste quand il y a égarement. Dieu n'est pas un potentat menaçant ou un tyran assoiffé de sang. Sa satisfaction ne se manifeste pas dans la terreur de Ses serviteurs, ni dans leurs punitions. Cette crainte ne suggère pas l'effroi que procure un tyran, ni la peur de l'injustice ou la menace d'un châtiment injuste. Au contraire, elle exprime l'appréhension par la Présence d'Allah et de la menace du châtiment. Le terme choisi par le verset « au-dessus d'eux » évoque cette présence et la relation tant affective qu'autoritaire. Cette crainte est choisie, et même recherchée par le musulman, puisqu'elle est synonyme de la présence et de l'amour divin, même si elle inclue la possibilité de punition. La crainte aiguise le désir de rejoindre Allah dans un mouvement ascensionnel. Cette peur est une élévation de l'état bestial à l'état humain, c'est le minimum de l'adoration. Elle nous montre la cible à atteindre, l'objet de notre amour. On est alors comme l'enfant qui ne peut se passer de la présence de ses parents. Les parents sont à la fois amour et autorité, ces deux qualités ne sauraient être séparées. La crainte d'Allah nous fait sentir que tout est éphémère et fragile sauf Sa présence. Ceci est très clair dans le verset 14 du chapitre 14, Allah s'adresse aux hommes en ces termes :
et vous établirons dans le pays après eux. Cela est pour celui qui craint Ma présence et craint Ma menace.
وَلَنُسْكِنَنَّكُمُ الْأَرْضَ مِنْ بَعْدِهِمْ ذَلِكَ لِمَنْ خَافَ مَقَامِي وَخَافَ وَعِيدِ
Le deuxième niveau de la crainte est de ne pas parvenir à satisfaire Allah. Cette crainte s'exprime par les actes surérogatoires, elle maintient le coeur en éveil et évite la somnolence grâce aux épreuves de la vie. Elle est un facteur d'anticipation pour que le coeur spirituel reste en éveil. Elle s'enclenche dès qu'un sentiment d'éloignement de la présence divine (obéissance) est ressenti ou que le danger de l'insouciance guette. Allah avance toujours Sa clémence et Sa miséricorde à Son châtiment comme dans le verset 49 et 50 du chapitre 15 :
Informe Mes serviteurs que c'est Moi le Pardonneur , le Très Miséricordieux,
et que Mon châtiment est certes le châtiment douloureux.
وَلَنُسْكِنَنَّكُمُ الْأَرْضَ مِنْ بَعْدِهِمْ ذَلِكَ لِمَنْ خَافَ مَقَامِي وَخَافَ وَعِيدِ
Cette crainte nous fait redouter que cet ordre ne s'inverse à cause de nos actes. C'est une émotion normale et une réaction saine de l'âme au même titre que la douleur est une réaction saine et un avertissement pour l'organisme suite à un traumatisme. La douleur est dans ce cas un avertisseur du traumatisme, la crainte est un avertisseur de l'éloignement d'Allah. C'est ainsi que notre plus grande crainte est d'être séparé d'Allah même un seul instant par d'autres préoccupations. Ne plus être en présence d'Allah c'est s'éloigner de Ses commandements et de Sa miséricorde. Si le premier stade de la crainte est la peur du châtiment, la deuxième est de ne pas recevoir la miséricorde divine. Craindre c'est avoir la certitude d'être attaché à la quiétude de la présence de la miséricorde divine. La crainte est un mélange subtil d'appréhension et de compassion. Elle est ressentie plus par le coeur que par l'esprit. Mais c'est aussi la souffrance de ce qui vous échappe si nous n'avons pas atteint la miséricorde divine. La crainte est la reconnaissance de la toute Puissance d'Allah par Sa miséricorde et la sévérité de Sa punition. Ce qui incite à l'espoir est la reconnaissance de la miséricorde d'Allah et la grandeur de Sa récompense. Celui qui cherche la récompense d'Allah place son espoir en Lui, et utilise la crainte comme moyen pour l'obtenir. Elle ne doit pas se transformer en terreur du châtiment sinon la personne est dans une impuissance et dans le désespoir, elle ne doit pas être « tiède » sinon le coeur finit par s'endormir et on n'est plus vigilent. Cette crainte est une vigilance active, qui maintient le coeur en éveil et qui pousse à l'action. La crainte laisse place au troisième niveau appelé crainte révérencieuse.
Elle se traduit par la crainte de déplaire à Allah. C'est la même crainte qu'ont les enfants de déplaire à leurs parents celle de mettre fin définitivement à la tentation de s'éloigner d'Allah et de revenir en arrière, on l'appelle la crainte révérencieuse. La crainte révérencieuse d'Allah ou takwa تقوى est de placer entre nous et ce que nous craignons une protection. Le sens du mot arabe désigne un bouclier. Cette protection n'arrêtera pas le châtiment, mais elle a pour but essentiel de nous empêcher de tomber dans le risque du châtiment. Ce mur qui ne nous protège ni d'Allah ni de Son jugement, mais de notre propre égarement, se nomme piété. Ceci est clair dans le verset 103 du chapitre 2 :
Et s'ils croyaient et vivaient en piété, une récompense de la part d'Allah serait certes meilleure.
Si seulement ils savaient!
وَلَوْ أَنَّهُمْ آمَنُوا وَاتَّقَوْا لَمَثُوبَةٌ مِنْ عِنْدِ اللَّهِ خَيْرٌ لَوْ كَانُوا يَعْلَمُونَ
Le but essentiel de cette crainte est d'installer la piété dans notre vie de tous les jours comme le dit le verset. Celle-ci se décline dans deux dimensions : celle du respect et de l'affection qu'on doit porter à Allah, et celle de l'ascèse. Ainsi nous avons un lien privilégié d'amour et d'attachement à Allah, qui va s'exprimer par l'obéissance à Ses commandements. Ainsi nous comprenons que la crainte puisse être recherchée et qu'elle est une des expressions de la foi musulmane.
Dix-huitième jour, la crainte ou le jeûne de toute quiétude, c'est se placer dans la peur de déplaire à Allah. Je prie le très Haut de placer dans notre coeur cette peur et de faire de nos actes des formes d'adoration ne visant que Sa miséricorde et Sa satisfaction. Amin et le salut et les bénédictions sur notre bien aimé Muhammad.